Friday, January 21, 2011

Non à l'institutionnalisation et la perte d'âme de la communauté arménienne de France!

Laurent Leylekian

Cher(e) ami(e),

Comme vous le savez sans doute, les Conseils de Coordination des
Organisations Arméniennes de France (CCAF) réfléchissent actuellement à la
transformation de notre représentation nationale en instance
démocratiquement élue, le Conseil Franco-Arménien (CFA). C'est un projet
d'ampleur qui - à coup sûr - concerne chacun d'entre nous puisque, si cette
structure voyait le jour, elle se proposerait de parler en notre nom toute
investie d'une légitimité démocratique.

Le mois dernier, France-Arménie a publié un numéro largement consacré à ce
CFA où, dans une belle unanimité, les personnes interviewées, c'est-à-dire
celles impliquées dans le projet, ont abondamment vanté ses mérites. Nous
savons tous cependant que des voix dissonantes existent au sein de la
communauté à propos de ce projet mais on aura peine à les lire dans les
médias communautaires de France, aujourd'hui quasiment tous tenus
directement ou directement par des promoteurs du CFA.

La semaine dernière, j'ai voulu proposé à France-Arménie - un journal où je
sévis depuis maintenant longtemps et où je pensais avoir une certaine
légitimité - une tribune mettant en garde contre les risques possibles que
pourrait faire courir une telle structure si elle était d'aventures mal
conçue. Fait inédit, la nouvelle équipe de direction en place depuis le
début 2011, arguant de questions de timing, m'a refusé cette tribune.
Convaincu que le sujet est suffisamment grave pour qu'il soit nécessaire de
faire enfin émerger un débat public, je me trouve donc réduit à vous faire
parvenir directement cette opinion personnelle que vous trouverez en pièce
jointe. N'oublions pas pour mémoire que les CCAF se réuniront les 22 janvier
et 9 février prochains pour entériner ce projet.

Je confesse par avance que le ton délibérément caustique de ce papier ait
pu faire sursauter les âmes endormies mais c'est bien l'objectif de
provoquer un tel réveil salvateur pendant qu'il en est encore temps. Je
reconnais aussi sans peine, et par avance, que cet article ne propose pas de
solution aux problèmes qu'il souligne car les vraies réponses n'émergeront
précisément que d'une démarche commune menées par l'ensemble des forces
vives des Arméniens de France. Vous conviendrez donc avec moi que ceux qui
se proposent de doter notre communauté d'une représentation démocratique ne
pourront que souscrire à ma démarche visant à rendre publics les actuels
débats d'alcôves.

Je vous enjoins en conséquence à diffuser largement ce texte mais aussi à me
faire part de vos éventuelles réactions.

Très cordialement,

*Laurent Leylekian*

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CFA : QUEL CONTENU POUR L’ACRONYME QUI TUE ?

Conseil Franco-Arménien ! Nul doute que si le Ministère de l’Intérieur ou l’INSEE avait dû choisir un nom pour notre compte, c’est bien cette fade dénomination aux allures de Société Anonyme qui aurait été retenue. « Comité du 24 avril », c’était sexy, ça avait de la gueule ; on imaginait des valeurs, un combat, un engagement, peut-être même une fraternité … bref un dessein. L’évolution en CCAF annonçait déjà l’institutionnalisation et la perte d’âme de la communauté arménienne de France. Mais avec le CFA, on atteint les sommets de la normalisation et de la vacuité respectable. Un peu comme si Haratch était finalement devenu Le Monde.
On aurait pu blâmer les promoteurs du futur Conseil Franco-Arménien de la paresse intellectuelle par laquelle ils ont jeté leur dévolu sur le nom le plus désespérément empreint de tristesse et de platitude qui soit. Mais si, comme l’affirmait Tristan Bernard, « l'humour provient d'un excès de sérieux », nous devons au contraire les saluer pour le caractère gentiment subversif de l’acronyme qui vient : CFA ? CFA, comme le franc du même nom ! Les Arméniens seraient-ils des Français dévalués qu’on paye en monnaie de singes ? CFA, comme les Championnats de Football Amateurs ! Les Arméniens seraient-ils des Français de quatrième division ?
Laissons aux architectes du CFA le soin de répondre à cette délicate question de savoir si – en la dotant de ce trop sobre acronyme – ils ont inconsciemment traduit la perte de sens qui nous menace pour précisément répondre à la problématique de fond : un CFA pour quoi faire ?
Car à lire les déclarations d’intention de ses promoteurs, il semblerait que le seul objectif de cette structure rénovée soit d’insuffler le ferment démocratique au sein d’une communauté arménienne en panne d’inspiration et démobilisée par les petits arrangements entre amis qui ont fait les beaux jours du CCAF.
Les pessimistes souriront du fait que cette idée soit promue par des organisations dont certaines n’ont jusqu’alors pas spécialement brillé en matière de démocratie interne. Les optimistes y verront un pas méritoire sur le chemin de la rédemption et de la vertu.
Mais l’essentiel est ailleurs : en plaçant la démocratie comme seul visée du CFA, ne confondons-nous pas un objectif et un moyen ? Ou certains croient-ils que – par quelque vertu paraclétique – un sens soit jamais né d’une procédure formelle ? Au risque de décevoir, il faut bien rappeler qu’« il n’est de richesses que d’hommes » ; que c’est toujours l’esprit qui a commandé la main et jamais le geste qui a créé l’idée.
Certes l’idéal démocratique est sans doute louable et, certes, en tant qu’organe non partisan et représentatif de tous les Français d’origine arménienne, il est bien normal que le CFA ne puisse se prévaloir de telle ou telle orientation politique préalable. Mais perpétuer « l’ab-sens » du CCAF, c’est prendre le risque d’une fuite en avant qui a peu de chance de nous conduire là où nous le souhaitons et qui, sans doute, ne mènera qu’à plus de désillusions et de démobilisation.
Si nous voulons réellement écarter le risque signalé des instrumentalisations et des manipulations, mais si nous voulons aussi oser plus qu’une structure juste propre à satisfaire les éternelles ambitions en mal de légitimité institutionnelle, il faudra bien autre chose que des garde-fous réglementaires, aussi élaborés soient-ils.
Nous devrons alors nous résoudre à y insuffler du sens, et pour cela, à favoriser la résurgence de la parole critique et du débat d’idées par lesquels il y a cent ans, les Arméniens avaient cent d’avance sur les mondes ottoman et russes dans lesquels ils vivaient.
En constituant le cadre de nos débats puis notre référentiel idéologique, la Cause arménienne – cette patrie de substitution – a longtemps et utilement suppléé au déracinement provoqué par le Génocide. Mais la marche du monde et la confrontation au Réel - l’indépendance de l’Arménie et la fin consubstantielle du mythe du retour – ont stérilisé notre pensée et fossilisé notre discours aussi sûrement que le yatagan turc l’avait fait pour l’Arménie occidentale.
Si le CFA veut réellement conjurer ce funeste destin, il devra prioritairement permettre l’expression de ceux que la Cause arménienne n’a jamais touchés comme il devra réintégrer ceux qu’elle a exclus ou qui – hâves et exsangues – s’en sont éloignés.
Car – foin de structuralisme – c’est bien de chaque homme, de chaque femme et d’eux seuls que naissent les commencements.

Laurent Leylekian

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