
  Le professeur en Sciences  Politiques, Armen AYVAZIAN, fait une analyse structurée et convaincante  de la politique étrangère arménienne. Sa description de ’la Question  arménienne’ mise à jour, sera très utile à ceux des Arméniens du monde  qui ont du mal à appréhender les enjeux actuels de cette politique,  c’est-à-dire à beaucoup. Elle est en tout cas très bien positionnée dans  l’histoire et dans l’actualité. Le jeu de la Turquie dans le conflit est également bien montré. La discussion sur les territoires contrôlés par l’armée arménienne est  éclairante. Elle fait en partie écho au discours du Président Serge Sarkissian à  Astana du 2 décembre 2010 (OSCE). 
GB
Publié le 14 janvier 2011
Mis en ligne dans Armenian Resistance, Analyse, Arménie @en, Geographie
par Armen Ayvazian
1. Le Niveau Stratégique
"Diviser pour Régner" : le démembrement de la Question Arménienne
En 2010, la question de la reconnaissance immédiate et  formelle de la République du Nagorno-Karabakh (NKR) était une fois  encore soulevée au Parlement de la Républiqued ’Arménie (RA).  Malheureusement, les initiateurs et les opposants à cette mesure  conçoivent  la reconnaissance de la NKR comme une combinaison du jeu  diplomatique, ignorant le fond de sa signification - le niveau  stratégique. En fait, le conflit du Karabakh n’est qu’un aspect de la  question arménienne toujours sans solution, dont toutes les  composantes-le conflit entre la Turquie et l’Arménie, le conflit du  Karabakh qui en découle, la reconnaissance internationale du Génocide  Arménienet la question du Javakhk-restent vues par l’élite politique de  la RA totalement isolées les unes des autres. En conséquence, il n’y a aucune vision holistique, globale, des défis  stratégiques auxquels est confronté l’état arménien, affaiblissant  sévérement ses positions en droit international et ses positions  diplomatiques dans tous les domaines de la politique étrangère qui  l’intéressent. La conception effective de la politique nationale de la  RA, étrangère (et intérieure) — dont fait partie l’importante analyse  des effets pratiques de la reconnaissance de la NKR - n’est donc  possible qu’après que nous-mêmes ayons une compréhension claire et  pondérée de la position de la Question Arménienne dans le contexte de la  situation géopolitique où s’est trouvée la RA depuis qu’elle a retrouvé  son indépendance en 1991.
Particularités de la Question Arménienne au 21ème siècle
Voyons d’abord les faits qui ont remis la Question  Arménienne dans l’arène internationale depuis 1991, en dehors du  contexte de sauvetage physique des Arméniens de l’Ouest tel qu’ on le  connaissait à la fin du 19ème siècle et au déébut du 20ème. Les Turcs  ont complètement détruit la population arménienne de l’Arménie de  l’Ouest et en partie l’Arménie de l’Est pendant le Génocide de  1893-1923, développé en trois périodes - en 1893-1896, 1909 et  1915-1923. Pendant la période soviétique, de nouvelles  vastes régions  de l’Arménie de l’Est - dont font partie le Nakhitchevan et l’Artsakhdu  Nord - ont été sujettes à dé-arménisation. A présent, le conflit entre  les Arméniens et les Turcs est entré dans une nouvelle phase, le fait  marquant étant l’existence internationalement reconnue de la République  d’Arménie. Mais la politique de la Turquie pour rayer l’Arménie de la carte n’a jamais été révisée ;  les nouveaux objectifs sont d’étouffer l’état Arménien pendant qu’il  est encore enfant. La Turquie essaie d’atteindre cet objectif  indirectement, par le biais de son alliée l’Azerbaïdjan, dans la mesure  où le contexte international, et de sérieux problèmes de politique  intérieure et économique empêchent la Turquie d’envahir l’Arménie (sans  l’empêcher tout de même de maintenir un long blocus  économique, et de  faire une guerre psychologique acharnée contre l’Arménie).
Dans le prolongement du plan turc, en 1991-1994 l’état  arménien nouvellement reconstitué a souffert de l’agression  azerbaïdjanaise sur toute la longueur de ses frontières à l’est. Dans  cette situation, des garanties fiables de sécurité, et par-dessus tout,  des frontières défendables, étaient vitales pour l’Arménie. Cet objectif  stratégique a été atteint en partie, au prix cependant d’énormes  sacrifices, par la libération de quelques unes des terres de notre  patrie, des terres natales arméniennes ( précédemment 7 districts  administratifs, récupérés de la RSS d’Azerbaïdjan. Le long des  frontières de l’ex-Région Autonome du Nagorno-Karanagh (NKAR). Plus de  15 ans plus tard, ce territoire est toujours contrôlé par l’armée  arménienne. Nous pensons en général que les territoires libérés sont une  simple nécessité militaire- l’unique façon de neutraliser l’avance  ennemie. Même si ce point de vue, reflétant la situation réelle sur le  terrain pendant la guerre d’Artsakh, est correct en principe, étant une  perspective strictement militaire, il est superficiel. Le champ de  signification des territoires libérés est beaucoup plus étendu : il  englobe dans son entier le spectre des problèmes historiques,  géostratégiques, géo-économiques, démographiques, ceux du droit  international, culturels et même existentiels de l’état arménien. La  faiblesse générale de la pensée politique arménienne, la compréhension  incomplète et insuffisante de la Question arménienne et l’influence  intellectuelle néfaste des forces externes sont la raison qui a fait  appeler les 7 districts mentionnés plus haut "zone tampon" et même  "territoires conquis." Par la suite, la seconde appellation inacceptable  a graduellement laissé la place (bien qu’en partie, malheureusement) au  terme plus adéquat mais quelque peu vague de "territoires libérés".  Entre temps, cette terre devrait être définie par un terme  stratégiquement adéquat - c’est-à-dire "le territoire libéré de  l’Arménie", dans la mesure où il est question du territoire de  l’Arménie, et il importe peu qu’il soit déclaré faire partie de la RA ou  du NKR, parce qu’en termes stratégiques, la RA, le NKR et les  territoires libérés constituent un ensemble unique, étant tous réunis en  Arménie.  L’Arménie moderne est le territoire contrôlé par l’armée  arménienne. Et les 12 000 km² récemment libérés sont un élément  essentiel de notre patrie avec ses spécificités démographiques,  socio-économiques et culturelles. Contrairement à l’opinion populaire, la Question arménienne n’est pas la  reconnaissance internationale du Génocide arménien et n’est pas le  droit de l’Artsakh à l’auto-détermination, mais la question de la terre,  des territoires. Cependant, ni au cours de la gueree 1991-1994, ni à  présent, les dirigeants de l’Arménie ne se sont montrés assez mûrs pour  comprendre cet axiome stratégique. Le fond de la Question arménienne  aujourd’hui est la création de conditions politiques et territoriales  pour une vie libre et indépendante des Arméniens dans leur patrie, le  Plateau Arménien. Il ne peut y avoir qu’une seule réponse à la Question  arménienne : la restauration de l’État, sinon sur les 350 000 km² de  l’Arménie historique (ce qui est irréaliste dans un avenir prévisible),  alors au moins suffisamment grand sur son territoire pour assurer son  existance à long terme  et le développement de la civilisation  arménienne. En d’autres termes, ce qui est en cause c’est une question  de sécurité pour les Arméniens, et il y faut deux conditions  préalables : d’abord, la création et le fonctionnement d’un Etat  arménien solide, et en second lieu, des garanties territoriales qui  assurent la sécurité et la viabilité de cet état. Qui plus est, ne  remplir que l’une de ces conditions est impossible : un état arménien ne  peut survivre sur les 29 800 km² de territoire vulnérable et propre aux  agressions hérité de l’Arménie soviétique, et la vie collective de la  nation ne peut être préservée dans les régions peuplées d’Arméniens du  Plateau Arménien en l’absence d’un Etat arménien.
La mission de l’Armée arménienne est la libération !
La Question arménienne existe objectivement,  indépendante des souhaits et des préférences de l’élite politique  arménienne d’aujourd’hui, parce que ni la Turquie ni l’Azerbaïdjan  (comme l’a démontré la "diplomatie du football" morte-née) ne sont  prêtes à se faire à l’idée d’un Etat arménien, même sur un territoire  réduit à 42 000 km², qui apparaît sous la forme de la RA et de la NKR.  Comme il a été démontré au cours des deux décennies passées, ces 42 000  km² sont l’étendue minimum nécesaire à la nation arménienne pour  exister, encerclée en partie par deux alliés hostiles - Turqui et  Azerbaïdjan. Perdre ne serait-ce qu’une partie de ce territoire de  l’Arménie moderne paut irrévocablement détruire l’équilibre militaire en  faveur de l’Azerbaïdjan, mettant ainsi en péril l’existence même de  l’Arménie. En outre, les 42 000 km² ne constituent qu’une marge  insuffisante pour empêcher l’Azerbaïdjan de déclencher une nouvelle  guerre. En conséquence, la stratégie arménienne pour contenir une  probable agression azerbaïdjanaise devra tenir compte (au minimum en  réaction et pré-planifiée au maximum) d’une extension de la zone  contrôlée par les forces arméniennes, c’est-à-dire repousser  l’Azerbaïdjan dans des limites géographiques telles qu’elle sera forcée  de mettre fin à son agression et renoncer à ses plans pour recommencer,  pour longtemps  et de préférence pour toujours.
La libération de 12 000 km² de notre patrie occupée a  arrêté l’agression azerbaïdjanaise pendant au moins seize ans. Mais il  est très possible que le terme de cette garantie très efficace  -territoriale - arrive à expiration, et pour protéger l’Arménie pendant  encore 50 ans ou plus, cette garantie pourrait devoir être non seulement  réaffirmée, mais aussi étendue autant que possible, jusqu’à la  destruction complète de l’état agresseur, en particulier parce que ce  dernier a des plans génocidaires. Malheureusement, la tâche de  libération des territoires occupés de l’Arménie nous est imposée par  l’ennemi, alors qu’il est impératif pour le gouvernement arménien et les  Arméniens de vouloir accepter le défi et l’idéologie de la libération  du leur propre (ce qui implique une libération -intellectuelle et  psychologique- plus profonde), et pas seulement de réagir à des stimuli  extérieurs, tels l’agression azerbaïdjanaise, comme ce qui s’est produit  en 1991-1994 ce qui avait conduit à de sérieuses erreurs et occasions  manquées. Avoir une stratégie pro-active par objectifs pour assurer la  sécurité à long terme pour l’Arménie, avant tout, cela signifie avoir  une conscience profondément enracinée de la nature inestimable du  territoire arménien de ses origines et travailler de tout cœur à sa  libération. De plus, il importe peu de savoir quand (et par qui) ce  territoire a été occupé, que ce soit au 14ème, au 18ème ou au 20ème  siècles. En clair, l’Azerbaïdjan, poursuivant la destruction de  l’héritage culturel et historique du peuple arménien sur tout le  territoire qu’il occupe actuellement, utilise ce même territoire comme  un levier puissant pour étouffer économiquement et rebondir pour la  prochaine agression à grande échelle sur le reste de l’Arménie. Donc, du  point de vue des exigences militaires, la relative longueur de la durée  de l’occupation des territoires arméniens ne joue aucun rôle         Lorsqu’il s’agit de déterminer la pertinence de leur libération.
Si la guerre du Karabagh de 1991-1994 n’était pas  seulement reconnue come une guerre d’autodéfense et un combat pour  survivre, mais dans le contexte de la Question arménienne, alors l’armée  des début des années 1990 de la Troisième République pourrait à bon  droit et avec précision être appelée "Armée Arménienne de Libération",  parce qu’elle a honorablement et dans une certaine mesure accompli cet  objectif - mission historique de libération. Seul le temps pourra nous  dire si nous serons capables de réaliser cette même mission inachevée  dans le futur. Mais son échec pourrait signifier la fin de la  civilisation arménienne pour notre génération, comme elle est planifiée  dans les couches Profondes des gouvernements à Ankara et à Bakou. L’armée arménienne doit  donc remplir sa mission coûte que coûte ! C’est ainsi que le problème de la sécurité de l’Arménie, connue aussi  sous le nom de Question arménienne, peut à nouveau nous amener à libérer  les territoires des origines de  l’Arménie, plus profondément à l’est  de la ligne actuelle de contact entre les armées arméniennes et  azerbaïdjanaises, jusqu’à la rivière Koura et la Mer Caspienne.
Armen AYVAZYAN, Docteur en Sciences Politiques
Cet article est paru en Arménien et en Russe dans  l’hebdomadaire   “Sobesednik Armenii/Hayastani Zrutsakits” weekly  (Yerevan), #41 (159), 26 Novembre 2010
Deuxième partie, demain : l’Aspect juridique
jeudi 3 février 2011,
Jean Eckian@armenews.com
Jean Eckian@armenews.com
Traduction Gilbert Béguian pour Armenews
 
 
 
 
 
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